Une solution pour les déchets radioactifs pendant 120 ans !

Publié par Diego Leon, le 19 janvier 2017   3.5k

Plus de 76% de l’énergie produite en France provient des centrales nucléaires. La technologie qui permet de faire, par exemple des radiographies à l’hôpital, repose aussi sur de la physique nucléaire. Toutes ces technologies produisent des déchets radioactifs qui peuvent se révéler dangereux à court et long terme. Comment neutraliser l’impact négatif de ces déchets sur l’homme et l’environnement ?


Patrick Ganster, Enseignant-Chercheur aux Mines Saint-Étienne Département Mécanique et Procédés d’Élaboration (MPE) du centre Sciences et Matériaux de Structure (SMS)

Patrick Ganster a une formation universitaire dans plusieurs domaines de la physique. Il est titulaire d'un DUG en Science des Matériaux effectué à Nancy, puis il poursuit sa formation par un magistère en physique fondamentale à Grenoble. Ses formations débouchent ensuite sur un stage dont l’objectif est de développer le Blu-ray, et notamment les matériaux utilisés pour fabriquer les CD. C’est à ce moment que son intérêt pour la matière s’est développé, intérêt qu’il conforte par l'obtention d'un master en matériaux et mécanique quantique à Toulouse. C’est à la suite de ce stage que Patrick Ganster s’est pour la première fois intéressé au stockage de déchets nucléaires.


Patrick Ganster dans un laboratoire de l'École des Mines de Saint-Etienne

Patrick Ganster dans un laboratoire de l'École des Mines de Saint-Étienne


A la suite de ce master et en recherche de sujet de thèse, ce chercheur contacte un laboratoire qui consacre ses travaux à la physique statistique, mécanique quantique, nucléaire et environnement. C'est alors qu'il s’intéresse au verre de confinement utilisé pour les déchets radioactifs.

A la fin de ses études Patrick Ganster devient enseignant-chercheur dans diverses académies. Tout d’abord à Lyon puis en Microélectronique à Marseille. Il arrive finalement aux Mines de Saint-Étienne dans un département orienté vers la Métallurgie. C’est là qu’il participe à nouveau au projet Cigéo, dans le cadre du développement des coques en céramique utilisés aussi pour le conditionnement des déchets radioactifs.



D'où proviennent les déchets radioactifs et où vont-ils ?


En France les déchets radioactifs proviennent de différentes sources : production d’électricité dans les centrales nucléaires, médecine nucléaire, ...( Classement des déchets Nucléaires)

Néanmoins les déchets les plus dangereux proviennent des sources radioactives utilisées dans les réacteurs nucléaires. Il faut imaginer un réacteur nucléaire comme une gigantesque cocotte-minute faite en acier. De forme cylindrique, elle mesure 10 mètres de hauteur et 4-5 mètres de diamètre. Ses parois ont une épaisseur de 25 centimètres. A l’intérieur de ce cylindre se trouve une centaine de tubes longs de 10 mètres dont le diamètre fait à peine 1 centimètre. A l’intérieur de ces tubes sont logées des petites pastilles de produit radioactif, par exemple du UO2 enrichi(1 atome d’uranium et 2 atomes d’oxygène). Cette source est utilisée pour produire de l’énergie jusqu’à ce quelle ne soit plus suffisamment puissante pour être utilisée.

Schéma de la cuve d'un réacteur nucléaire et photo des tubes dans lesquels sont introduites les pastilles radioactives

Jusqu’à présent les déchets sont transportés, traités et stockés dans plusieurs centres en France, le plus connu étant celui de La Hague en Normandie. Les déchets radioactifs sont stockés dans une piscine remplie d’eau. L’eau sert à absorber une grande partie de la radiation rejetée par les déchets.


Le projet Cigéo


Cependant il existe un problème de taille quand on parle de ces déchets. Certains peuvent continuer à émettre de la radiation pendant des centaines de milliers d’années. Les matériaux radioactifs sont dangereux pour différentes raisons. Ils sont très néfaste pour la santé : il suffit moins d’une heure à des déchets comme ceux-là, dits de haute activité (HA) pour littéralement complétement bruler une personne(Exemples de doses d'exposition à la radioactivité). Et puis on ne peut pas oublier que l’on peut toujours fabriquer des bombes nucléaires avec ces déchets radioactifs, et peuvent donc devenir un objet d’intérêt pour le terrorisme.

C’est dans ce contexte que Andra a mis en place le projet Cigéo. Le principe est de construire un entrepôt souterrain situé à 500 mètres de profondeur pour y stocker les déchets les plus dangereux et non recyclables aujourd'hui. Cet équipement sera situé sur une zone entre les départements de Haute-Marne et de la Meuse. La particularité de ce site est la présence d’argile, qui permet principalement de bloquer la traversé d'eau depuis la surface. Une vertu doublement bénéfique : d’une part parce que l’eau contenue dans cette couche va absorber la radiation des déchets, et deuxièmement parce que de cette manière les capsules contenant le matériau radioactifs sont protégés contre l'eau qui pourrait les endommager. La capacité de stockage decet entrepôt devrait lui permettre d'être exploité pendant 120 ans à partir de 2030. Il recevra les colis radioactifs de toute la France.


Comment sont faites les capsules contenant les déchets radioactifs ?


Pour pouvoir stocker les déchets radioactifs la capsule dans laquelle ils sont confinés doivent respectent des règles très précises pour absorber la radioactivité émise par les déchets mais aussi protéger l’environnement et assurer le confinement pendant très longtemps.

Le confinement se fait en plusieurs étapes. Tout d’abord la vitrification. Comme son nom l’indique, cela consiste à mettre les déchets radioactifs dans du verre. Le verre s’obtient en faisant fondre des silicates, c’est-à-dire, des grains de sable, puis en le faisant refroidir. Les tubes des réacteurs nucléaires qui contienne le matériau radioactif sont ensuite tronçonnés en petits morceaux. Le mélange composé de morceaux de tubes radioactifs et le verre fondu sont ensuite déversés dans un container en acier inoxydable.

Vous vous demandez sûrement pourquoi du verre et pourquoi de l’acier inoxydable ? L’atout principal du verre est qu’il est résistant à la radiation. Grâce à son caractère amorphe, c’est-à-dire qui n’a pas de forme. Dans la matière les atomes sont soit organisés de manière régulière et ordonnée, soit rangés un peu n’importe comment et donc désordonné. Un verre amorphe est désordonné ce qui fait que lorsque le matériau radioactif se désintègre il vient désordonner les atomes dans le verre. Mais puisque le verre est déjà désordonné, ça ne fait pratiquement aucune différence. C’est comme avoir une chambre avec toutes ses affaires n’importe où : qu’ils soient d’une certaine manière ou d’une autre c’est un peu pareil, c’est quand même désordonné!

Schéma illustant la matière ordonnée et désordonnée

Le container inoxydable a deux rôles : fonctionner comme une barrière à la radiation et protéger la capsule de l’effet de l’eau. Toutefois quand on dit d’un matériau qu’il est inoxydable en réalité cela veut dire qu'il est quand même très lentement oxydable.



Résister aux imprévus: coque supplémentaire en céramique


Après avoir mis les déchets radioactifs vitrifiés dans la coque en acier, il reste cependant une faiblesse à la protection. Avec le temps, l’eau peut en effet ronger et faire rouiller l’acier, malgré les roches imperméables entourant le site. Le choix a donc été fait de contenir les déchets dans une enceinte en céramique pour éviter tout échange d’humidité avec l’extérieur. Aussi pour résister aux contraintes de températures imposé par les déchets radioactifs. En effet les déchets les plus radioactifs gardent une température de 90°C pendant plusieurs milliers d’années, une contrainte supplémentaire, mais négligeable quand on la compare à la température de fusion de la céramique (entre 600 et 1500°C).


Le verre, une colle à céramique


Cette enceinte en céramique doit être fermée par un système préservant les qualités de l’enceinte, résistance aux hautes températures et échange d’humidité limité au maximum. Pour cette liaison un collage est utilisé, selon une méthode assez particulière. De la poudre de verre mélangé avec de l’eau qui forme une "pâte" visqueuse est appliquée sur la jonction entre les deux parties du container céramique. Cependant, bien que le verre possède toutes les qualités requises pour conserver les qualités de l’enceinte, le collage qui nécessite des températures très élevées, risque d’endommager l’enceinte en acier déjà présente dans le container en céramique. C’est pour cela que cette chauffe ne peut s’effectuer dans un four, mais plutôt par des moyens de chauffe locale proche du principe de fonctionnement du micro-onde.


"pâte" de poudre de verre à différentes étapes de fusion sur des échantillons de céramique

"pâte" de poudre de verre à différentes étapes de fusion sur des échantillons de céramique


De la même manière, on crée un champ électrique, c’est-à-dire une force qui va agir sur les charges de chaque particule. En faisant varier ce champ électrique on fait ainsi bouger les charges électriques dans le verre qui par des « frottements » vont augmenter la température du verre jusqu’à la fusion qui transforme la pâte en solide. Ce système permet de ne pas altérer l’acier qui ne chauffera que très peu.


Durabilité et Réversibilité

Pour finir tout le système de stockage est prévu comme réversible, c’est-à-dire que la technologie permettant d’extraire les containers radioactifs est déjà prévue. Bien que les technologies actuelles ne permettent pas encore de recycler les déchets radioactifs « neutralisés », il est possible que pendant l’utilisation du site (jusqu’à 2150) et même après, une technologie soit inventée pour complètement neutraliser ces déchets.


Leon Diego et Frayssinet Romain