Rencontre débat

Association Aussitôt dit/ Fête du Livre de Saint-Etienne

Dans le cadre de la fête du livre de Saint-Etienne, l'association de philosophie Aussitôt Dit propose, de 14 heures 30, à l'École d'architecture de Saint-Etienne, une rencontre-débat :

Invités :

Sébastien BALIBAR, physicien, directeur de recherche émérite CNRS, Académie des sciences

Mathias GIREL, philosophe, maître de conférences à l’Ecole normale supérieure de Paris

Bertrand JORDAN, généticien, directeur de recherches honoraire CNRS

Le débat sera animé par Jacques ROUX, chercheur en sciences sociales.

Thème :

« À l’heure de la post-vérité, quelles raisons avons-nous d’écouter les scientifiques ? »

La science est aujourd’hui très présente dans le débat public. Souvent l’avis des chercheurs est sollicité à propos de telle ou telle question d’actualité : par exemple, sur les risques, pour notre santé,  de la transformation industrielle des aliments ou de l’usage de certains pesticides. La décision d’étendre le champ de la vaccination obligatoire a suscité une controverse très relayée sur le principe même de cette pratique. Les scientifiques eux-mêmes prennent parfois l’initiative d’en appeler à l’opinion, comme récemment à propos du remboursement des traitements homéopathiques ou des risques sanitaires de l’emploi des fongicides. C’est à une cardiologue qu’on doit la révélation de la nocivité du médiator. Et, à une échelle bien plus vaste, la question du réchauffement climatique a été portée d’abord par le monde scientifique. Mais dans ce dernier cas, si le fait est maintenant reconnu, son explication par l’action humaine fait l’objet de contestations qui remettent plus ou moins ouvertement en cause la légitimité du discours scientifique. Laquelle l’est aussi, sur un plan plus philosophique, par les attaques contre la théorie darwinienne de l’évolution. Comme si, en intervenant de la sorte sur des sujets plus ou moins graves, les chercheurs exposaient davantage l’autorité du savoir scientifique au doute, ou même aux attaques directes de politiques du genre de celle de l’actuel président des Etats-Unis.

Ceux qu’on nomme significativement « climatosceptiques » cherchent à retourner contre la science ses propres armes :  pour faire obstacle à des décisions contraires à leurs intérêts, comme naguère les industriels du tabac, ils entretiennent le doute en exploitant les difficultés de l’administration de la preuve dans des domaines où agit un ensemble de facteurs d’une grande complexité. Mais de telles manœuvres ne jouent-elles pas aussi sur ce qui de façon plus générale entrave la communication entre le discours de la science et l’opinion ? Le décalage entre l’expérience vécue par tout un chacun et le langage d’abstraction conceptuelle propre aux sciences, n’est-il pas encore aggravé par leur spécialisation croissante ? Et encore davantage par un espace médiatique qui privilégie l’immédiateté de l’image, la simplicité des formules et l’émotion de l’événement, plutôt que la lenteur de la réflexion et la complexité de l’explication ? De surcroît la rivalité qui tend à s’installer entre les médias classiques et Internet ne favorise-t-elle pas une certaine dégradation de l’information, le prestige des pseudo-sciences ou l’emprise des théories du complot ?

Pour échapper à ces écueils, il semble urgent de s’interroger sur les formes que pourrait prendre une confrontation féconde entre le savoir des experts et les représentations des profanes. Ce genre de confrontation paraît d’autant plus indispensable que les réserves du public envers la science ne sont pas tout à fait sans fondement. Le rôle des scientifiques n’a pas toujours été dépourvu d’ambiguïté. Pour prendre un seul exemple, ils ont bien été les premiers à poser le problème du changement climatique, mais les prolongements techniques des sciences n’ont pas été étrangers au développement industriel qui paraît en être la cause principale. Pour toutes ces questions, les rapports de la science et des chercheurs avec l’opinion et les médias ne sont pas seuls en cause. Ne faut-il pas aussi faire la part des intérêts économiques, des enjeux politiques, ou encore des interrogations éthiques ? N’importe-t-il pas d’abord de démêler l’écheveau de toutes ces interférences ? Et aussi de repérer, pour les en préserver autant que possible, les multiples formes d’abus dont les sciences peuvent faire l’objet de la part des entrepreneurs, des politiques, des journalistes, et, pourquoi pas, des scientifiques eux-mêmes ?  Ces derniers ne pourraient-ils pas alors jouer avec plus de succès le rôle d’expertise qui doit être le leur, en éclairant les choix des politiques, sans s’y substituer ?