Conférences

Mesurer, classer, évaluer : les chiffres sont-ils nos amis ?

Les chiffres prennent dans nos vies une place de plus en plus grande. La mesure du produit intérieur brut (PIB) est censée exprimer la santé sociale et économique du pays ; la réduction du pourcentage de déficit budgétaire polarise l’action des gouvernements ; la publication à un rythme accéléré des indicateurs de conjoncture (statistiques du chômage, taux de croissance, etc) scande le débat public; les palmarès en tout genre se multiplient classant les universités ou les lycées ou encore la qualité de vie des villes ; les grilles d’évaluation se répandent dans tous les domaines, passent de la gestion des entreprises à celle des administrations, s’appliquent à la recherche scientifique comme aux pratiques hospitalières. Potentiellement universelle, cette expansion du rôle des chiffres a trouvé dans la révolution informatique un formidable instrument. Il a permis non seulement de rassembler à une vitesse vertigineuse une masse de données gigantesque et sans précédent, mais surtout de l’exploiter grâce au calcul algorithmique, venu se greffer sur la logique des indicateurs.



La force avec laquelle les chiffres s’imposent dans le débat public et dans la vie des sociétés tient d’abord à la vérité qu’ils sont censés déceler. Mais pour que cette vérité soit incontestable, encore faut-il comprendre comment les chiffres ont été obtenus, et savoir ce qu’ils mesurent précisément. Le PIB, par exemple, représente l’ensemble des activités marchandes monétisables, et seulement cela. Et il n’existe pas d’indicateur qui n’ait été construit en fonction de choix toujours susceptibles d’être discutés et remis en question. De plus on peut se demander si tout est mesurable, si toute réalité peut être représentée par un nombre, si la qualité est entièrement réductible à la quantité. Loin de produire un savoir universel, l’expansion sans limite du calculable n’aboutirait-elle pas au contraire à soustraire à la connaissance des pans entiers de la réalité ? In fine, les usages récents des nombres ne visent-ils pas, plutôt qu’à décrire des faits, à prescrire des conduites, à contrôler et sanctionner l’action des producteurs, à susciter et anticiper les désirs des consommateurs ?





Comme instrument de connaissance, la statistique constitue un indispensable moyen de gouvernement, tout autant qu’un outil pour la contestation et la revendication. En cela, l’usage des chiffres paraît être lié de façon consubstantielle à une démocratie fondée sur la pratique du débat. Mais l’extension démesurée à laquelle nous assistons semble ne plus s’inscrire dans ce cadre démocratique, voire le mettre en danger. De cette dérive, faut-il accuser l’instrument mathématique en tant que tel ? Ou bien le développement excessif de techniques dont l’homme aurait perdu le contrôle ? Ne doit-on pas plutôt y voir à l’œuvre l’instauration d’une « gouvernance par les nombres», où l’effacement des États permettrait la substitution du Marché à la Loi comme référence normative ? Enfin, selon les interprétations qu’on retiendra du phénomène, quels moyens peut-on imaginer pour s’opposer aux menaces dont il serait porteur ?


Dans le cadre de la Fête du Livre 2016, l'association de philosophie Aussitôt Dit, en partenariat avec le CCSTI La Rotonde, propose une discussion autour du thème : "Mesurer, classer, évaluer : les chiffres sont-ils nos amis ?"

Avec :


Michel BLAY , philosophe et historien des sciences, directeur de recherches émérite (CNRS), président du Comité pour l’histoire du CNRS

Dominique CARDON, sociologue, professeur associé à l’Université de Marne-la-Vallée

Antoine HOULOU-GARCIA, statisticien (INSEE), doctorant en Études politiques (EHESS)

Jacques LE CACHEUX, économiste, professeur à l’Université de Pau


Un débat à suivre samedi 15 octobre de 13h30 à 15h - salle Aristide Briand (Hôtel de Ville de Saint-Etienne)