Le rythme dans un monde immobile...

Publié par ART'M Créateurs associés, le 7 mars 2017   4.3k

Par son apparente immobilité, le monde végétal peut apparaître au premier coup d'œil comme figé,dénué de tout rythmicité.

Mais si on lui prête attention, si on prend le temps de l'observer, ce n'est pas une simple percussion que l'on découvre mais tout un orchestre rythmique jouant avec un tempo journalier ou saisonnier.

Nous vous proposons de prendre part à une petite promenade dans ce jardin de rythmes, à la découverte de quelques exemples de la périodicité végétale.

Première escale : le plant de tournesol.

Son nom nous indique que depuis longtemps on a observé sa tendance à suivre le soleil : tournesol en français, sunflower (la fleur du soleil) en anglais ou encore girasole en espagnol (aussi tourner vers le soleil).

Pourtant le débat sur la véracité de cette croyance populaire est très ancien. Un herboriste du XVème siècle écrivait : "Certains ont souligné qu'il se tourne vers le soleil, ce que ne j'ai jamais pu observer, mais je m'efforcerai à trouver la vérité ! " ; d'autres au XVIIIème affirmaient que son nom venait simplement de sa fleur ressemblant au soleil.

300 ans plus tard les scientifiques ont montré que cette croyance était bel et bien justifiée.


Le jeune plant de tournesol suit le soleil tout au long de la journée et durant la nuit il se repositionne vers l'Est, prêt à regarder les premiers rayons de soleil droit dans les yeux.Même si les nuages s'amusent à cacher le soleil, il continuera de tourner. Ce qui laisse penser qu'il existe une horloge interne régulant ce rythme.

Un semblant de cerveau végétal ?

Une autre observation abonde dans le sens de cette hypothèse. Prenez un jeune plant de tournesol, déracinez-le, faites lui faire un demi-tour et replantez-le. Il ne vous reste plus qu'à faire preuve de patience et à l'observer durant quelques jours. Vous pourrez voir qu'il fixera l'Ouest le matin et l'Est le soir durant quelques jours avant de reprendre sa rotation normale d'Est en Ouest.

À partir d'un certain âge la rotation s'arrête, le tournesol reste alors orienté en direction de l'Est. Elle peut également se stopper si le temps est trop sec ou trop humide.

Le tournesol tourne ! Le mystère est levé… pour laisser place à d'autres ! Des recherches sont menées en ce moment pour tenter de répondre à ces nouvelles questions : Quel est l'intérêt pour le tournesol de s'orienter vers le soleil ? Une meilleure photosynthèse ? Plus de chaleur pour la pollinisation et la maturation des graines ? Comment le tournesol tourne-t-il ? Des protéines ? Gènes ? Acidité ? Plasticité des membranes cellulaires ? Pourquoi la rotation s'arrête-t-elle avec le temps ? Pourquoi la vitesse de rotation est-elle plus grande la nuit ?

Un beau programme pour les biologistes !

Continuons notre petite marche en direction de ce plan de mimosa.

Seconde escale : Dortous et Augustin.

Dortous et Augustin sont les deux premiers scientifiques à avoir observé, testé et déréglé l'horloge interne d'un végétal. L'heureux élu fut un plan de mimosa.

Jean-Jacques Dortous de Mairan, que nous appellerons Dortous pour des raisons de commodité, est né dans une famille noble à Béziers, un avantage non négligeable à cette époque : ne pas devoir labourer les champs dès l'âge de 10 ans permet de plus facilement se plonger tête baissée dans les livres…

En 1729, il se lance dans l'étude du mouvement des feuilles et des fleurs.

Dortous entreprend une série d'expériences jamais effectuées jusque là : imposer une nuit constante à une plante et observer son comportement.

Pour cela il se lance à la recherche de Mimosa, aussi connu sous le nom de sensitive. Une plante ayant la particularité de refermer ses feuilles la nuit. Et aussi de se recroqueviller quand on la touche (d’où son nom savant Mimosa pudica). Une fois la plante déterrée et replantée chez lui, il l'enferme dans l'obscurité durant plusieurs jours.

Oui ça ressemble fortement à un kidnapping si on se met à la place de la plante.

Dortous remarque que, même plongée dans le noir, la plante continue à suivre le rythme jour/nuit. Elle possède donc un rythme propre qui n'est pas directement activé par les rayons du soleil. Elle est donc capable de savoir s'il fait jour sans voir le soleil !

A partir de cette expérience, Dortous ira même jusqu'à imaginer une méthode permettant décaler les rythmes de la plante.

"Il serait curieux d'éprouver [...] si on pourrait faire, par art, par des fourneaux plus ou moins chauds, un jour et une nuit qu'elle sentissent, si on pourrait renverser par là des phénomènes du vrai jour et de la vraie nuit."

Mais il ne testera jamais cette hypothèse.

La capacité de certaines plantes de fermer leurs pétales la nuit porte le doux nom de nyctinastie. Ce phénomène les protège ainsi du froid, de l'humidité, du gel,... Le matin, les feuilles sont de nouveau positionnées à l’horizontale, ce qui leur permet de capter un maximum d ‘énergie lumineuse dès que le soleil pointe le bout de son nez.

Vous pouvez facilement observer ce phénomène en espionnant, à la tombée de la nuit ou au petit matin, des plants de mimosa ou d'oxalis (trèfle).

Le plus impressionnant dans tout ça est que ces plantes arrivent à bouger sans aucun muscle !

Mais comment une plante peut-elle bouger sans muscles ? Tout simplement à l'aide d'eau ! Enfin, façon de parler.

Toutes les membranes cellulaires contiennent des pores qui permettent de contrôler l’entrée et la sortie des ions. C'est ce que l'on appelle des canaux ioniques. Si une cellule fait sortir beaucoup d’ions, par exemple de potassium, il lui faudra rétablir l’équilibre en laissant aussi sortir de l’eau. La cellule va donc se contracter, et ceci va causer un mouvement comme si on contractait un muscle.

Mais je m'égare car notre histoire ne s'arrête pas là !


Faisons un bon dans le temps pour arriver le 4 février 1778 à Genève. Jour de naissance de Augustin Pyrame de Candolle le deuxième protagoniste de notre histoire.

Passionné de végétaux, il passe beaucoup plus de temps au Muséum d'Histoire Naturelle qu'en cours. Et c'est durant cette période, en 1800, qu'il prend Dortous au mot et se lance dans une grande expérience ayant comme objectif d'inverser le cycle d'ouverture et de fermeture des feuilles d'un mimosa.

Il installe lui aussi le mimosa dans une pièce où la lumière du soleil ne peut pénétrer, mais contrairement à Dortous, le mimosa n'est pas laissé constamment dans le noir. Augustin simule le jour durant la nuit à l'aide d’une lampe à pétrole et simule la nuit durant le jour en masquant toutes les sources de lumière.

Une expérience facile à réaliser de nos jours avec les chambres de culture indoor mais une véritable révolution à l'époque.

Augustin observe jour et nuit durant plus de trois semaines, sans prendre le temps de dormir, l'évolution du rythme du mimosa. Le bouche à oreille attirant les curieux, les professeurs du Muséum se succèdent pour se tenir informés de l'évolution de l'expérience.

Les premiers jours Augustin observe un dérèglement total, le mimosa a perdu tout tempo. Il s'ouvre et se ferme de manière totalement désordonnée. Mais au bout de quelque temps, la plante retrouve son rythme. Elle s'ouvre durant le jour simulé et se referme durant la nuit.

Augustin est donc le premier à montrer l'influence de la lumière sur le rythme de la plante et il met aussi et surtout en avant sa capacité d'adaptation à un nouvel environnement.

Et c'est ainsi que se termine cette collaboration à travers le temps entre Dortous et Augustin.

Mais la recherche sur le rythme des plantes ne s'est pas arrêtée avec eux. Et même encore de nos jours des chercheurs s'intéressent de près à ces phénomènes rythmiques dans le monde végétal qui renferment encore de passionnants secrets.

Terminons notre petite balade en nous rendant auprès de ce bouquet de marguerites.

Troisième escale : un bouquet de fleurs.

En bouquet, sur un balcon, dans un jardin public ou encore sur une salade, l'être humain utilise souvent des fleurs pour décorer, faire plaisir ou colorer.

Mais ces dernières ont des utilités bien différentes pour les végétaux.

Elles jouent un rôle majeur dans la reproduction en permettant la fabrication de graines qui donneront naissance à de nouvelles plantes.

Certains végétaux ont besoin de l'intervention d'un pollinisateur, par exemple une abeille qui transporte du pollen d'une plante à l'autre en récupérant le nectar. Dans ce cas leurs fleurs auront des spécificités, comme des couleurs ou des odeurs, permettant d’attirer les bons insectes.

Le moment de la floraison est très important. Si une plante à jour long, qui fleurit normalement au printemps, fleurit trop tôt, il y a de fortes chances qu'elle perde sa fleur à cause du froid.

Mais comment les plantes savent-elles à quel moment elles doivent fleurir ?

Tout au long de l'année, la plante produit une molécule, une particule microscopique du nom de Constans. Lorsque la plante arrive à en stocker suffisamment, la floraison, l'apparition d'une fleur, se déclenche. Ces molécules s'autodétruisent lorsqu'il n'y a plus de lumière. En hiver la plante n'arrive donc pas à en produire assez pour déclencher la floraison.

Il faut attendre le printemps et avec lui les jours plus longs qui permettront à la plante de produire suffisamment de Constans entrainant ainsi la floraison.

Devant un tel spectacle, je reste sans voix...


L'exemple que l'on vient de voir est celui d'une plante à jour long poussant au printemps. Dans le cas des plantes à jours courts, comme les perce-neiges poussant l'hiver, la floraison est déclenchée lorsqu'il y a peu de Constans.

Au cours de ces trois escales nous avons pu découvrir certains rythmes du monde végétal qui paraît immobile, mais il en reste encore de nombreux.

Pour les surprendre en train de taper du pied il suffit parfois de simplement s'asseoir et prendre le temps de les observer.

Kévin

ART'M - Créateurs associés

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L'exposition CLOCK est présentée jusqu'au 30 juin au CCSTI La Rotonde : http://www.ccsti-larotonde.com/CLOCK,807

Informations sur l'accueil de l'exposition : info@artm.fr