Site Le Corbusier à Firminy : une vi(ll)e nouvelle au XXème siècle

Publié par Christine Berton, le 7 octobre 2016   2.7k

Mercredi 5 octobre 2016, 13 élèves de Première ont rendez-vous devant les grilles de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne où ils retrouvent des animateurs du Réseau"Réussir Aujourd’hui".

Au programme de l'après-midi, la visite d'une partie du site architectural Le Corbusier, inscrit depuis juillet dernier au patrimoine mondial de l'UNESCO

Tout le monde s’engouffre dans les voitures. Une quinzaine de kilomètres plus loin, une jeune femme les attend. Estelle est guide. Et c’est avec elle que chacun découvre les réalisations de cet architecte majeur du XXème siècle…

L’architecture, mais pas seulement

Charles-Edouard Jeanneret-Gris naît en Suisse le 6 octobre 1887.

Dans les années 20, il prend pour pseudonyme « Le Corbusier », adaptation du patronyme de l’un de ses ancêtres (Lecorbésier)

A 13 ans, il quitte l’école pour s’engager dans la même profession que son père : graveur de boîtiers de montres. Mais son rêve est autre ; c’est la peinture qui est sa passion.

Pas convaincu de son talent, son professeur le dirige vers l’architecture. Une discipline dont il fera sa profession sans jamais en avoir obtenu le diplôme.

Un métier qui, tout au long de sa vie sera nourri et enrichi de ses multiples pratiques artistiques (sculpture, poésie, décoration d’intérieur, tapisserie,…) dont témoignent d’ailleurs le découpage de ses journées : le matin, la peinture, et l’après-midi, l’architecture


A Firminy, un ensemble unique en Europe

Pourquoi Firminy ? Tout simplement parce qu’il est ami avec Eugène Claudius Petit, maire de la ville de 1953 à 1971 qui, au lendemain de la 2 ème guerre mondiale fut notamment ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme.

En 1950, Eugène Claudius Petit engage un Plan national d’aménagement du territoire.

A Firminy, l'essor industriel s'accompagne logiquement d'une forte augmentation de la population et la ville fait alors face à une pénurie de logements.

En 1955, le maire initie le projet urbanistique de Firminy-Vert et commande à son ami architecte : une Unité d'Habitation de 1 977 logements pouvant accueillir 3 500 personnes.

Mais l’idée est aussi de faire de ce nouveau quartier un lieu de vie moderne tenant compte de la « nouvelle » notion de temps libre. Des équipements sont alors prévus : une Maison de la Culture, un stade, une piscine et une église.


Les équipements signés Le Corbusier traverseront le temps. D’autres, plus éphémères, marquent aussi leur époque comme cette laverie automatique qui sera la première installée en France !

Quelques mois avant sa mort, Le Corbusier est reçu à Firminy où la Maison de la Culture vient d’être achevée.

Les autres infrastructures, c’est l’architecte disciple et exécuteur testamentaire de Le Corbusier, André Wogenscky qui les réalisera selon les plans du maître.

Quant à l’Eglise, son édification se fera en deux temps. Commencé dans les années 70, le chantier s’arrêtera pendant plusieurs décennies. Et l'inauguration n'aura lieu qu'en avril... 2006 !


Des formes et des couleurs

Comme souvent, un projet vit et bouge au fil du temps

Dans la commande initiale, la Maison de Culture est adossée au stade. Le Corbusier imagine alors un plan extérieur incliné destiné à abriter les gradins de la pluie et des rayons du soleil. Mais plus tard, Eugène Claudius Petit demande à l’architecte de réaliser deux équipements dissociés. Ils se feront donc face autour du stade .Le Corbusier gardera toutefois la ligne prévue sur ses premiers plans.

Si l’extérieur du bâtiment peut surprendre, sa conception intérieure impressionne par l’ingéniosité qui préside à leur réalisation.

Pour Le Corbusier, « une maison est une machine à habiter ».


Pour la machine, il faut des outils. Et pour habiter la maison, des espaces conçus pour les besoins et usages de celles et ceux qui y vivent.

Rêver un concept, c’est bien. Mais comment le concrétiser ?

En créant des plans… libres ! Libres de toute contrainte physique en bannissant les murs porteurs !

Oui, mais selon quelle technique ?

Le Corbusier invente la solution : des câbles tendus épousent la forme de l’impressionnante toiture.

Les plafonds ainsi suspendus soutiennent les plaques d’un béton particulier. Et un espace en haut des cloisons permet à l'ensemble de s’adapter aux variations thermiques ou encore au poids de la neige.

Reste une question : que faire si, au fil du temps, les câbles se distendent ?

Là encore, l’architecte fait preuve de génie. Des petites ouvertures en façade de la Maison de la Culture permettent, le cas échéant, d’intervenir pour les retendre ou les desserrer !


Autre espace atypique : la salle de spectacle

Face au plateau, des gradins à la verticalité impressionnante renforcent pour le spectateur une sensation d’immersion dans le spectacle par la proximité qu’ils favorisent.

En fond de scène, une paroi totalement vitrée rappelle qu’initialement, cette salle, alors baptisée « Grand Foyer », était destinée à être un lieu de convivialité.

Là encore, pas de murs porteurs. Un exploit technique dont on prend toute la dimension ; la salle faisant toute la hauteur et toute la largeur du bâtiment.



« Tout paraît simple, rien n’est banal »

Pour construire ses espaces et adapter au mieux le mobilier, Le Corbusier invente une notion architecturale : le Modulor. Pour en comprendre facilement la logique, il suffit de regarder la silhouette visible sur chacune de ses constructions. Une silhouette humaine haute de 1,83 mètre dont un bras est levé.



A partir de cette taille « standard », Le Corbusier pense les espaces et mobiliers : hauteur des plafonds, des tables, des chaises, des éviers,… que réalise le décorateur et ensemblier Pierre Guariche.

Des calculs dont on comprend particulièrement le sens dans la grande loge attenante à la salle de spectacle. Une vaste pièce où trônent trois grandes tables, des meubles-loges mobiles, du mobilier de rangement,…


Plus loin, un lieu d’exposition. Là encore, la lumière entre à flot par des vitres scellées qui rythment la façade, pans de verre ondulatoires qui rappellent ceux mis en place au couvent de la Tourette selon les indications de son ami, le compositeur et architecte Iannis Xenakis

La façade vitrée est destinée à faire entrer la lumière. Quant à l’aération, elle se fait par des…aérateurs ! De hauts et étroits volets verticaux qui, par un système de pivots, s'ouvrent et favorisent la circulation de l’air.


Un système ingénieux que Le Corbusier installe également dans les parties internes afin de permettre le renouvellement de l’air des pièces donnant par exemple sur les couloirs !



La visite se poursuit. En descendant d’un étage, on se retrouve dans le « Petit Foyer »


On y découvre notamment une table d’angle en béton, seul élément mobilier réalisé par Le Corbusier . Placée sous la montée d’escalier, elle offre un double avantage. Respecter le plan libre bien sûr et éviter que l’usager ne se cogne à l’escalier qui la surplombe !



« Les matériaux de l'urbanisme sont le soleil, les arbres, le ciel, l'acier, le ciment, dans cet ordre hiérarchique et indissolublement. »

Son principe, Le Corbusier le décline aussi en couleurs : jaune, bleu, vert et rouge. Le jaune pour le soleil, le bleu pour le ciel, le vert pour la nature. Quant au rouge, il symbolise le sang, les bâtiments n’ayant de raison d’être que par la vie humaine qui les animent.

Une passerelle, un escalier et l’on se retrouve à l’arrière de la Maison de la Culture, aux abords du stade.


Ici, sport et art se mêlent, la piste de course longeant un petit théâtre de verdure. Le temps aussi s’invite avec un affleurement de grès houiller qu’épouse le béton : une transition de 300 millions d’années entre la roche primaire et le matériau de la modernité.

De l’autre côté du stade, des escaliers mènent cette fois le groupe vers le Boulevard des spectateurs, esplanade au sommet des gradins qui surplombe l'église. Comme souvent chez Le Corbusier, les toits sont aussi des lieux de circulation.



L’église

Quand Firminy-Vert sort de terre, la paroisse souhaite qu’une église y soit érigée. Le chantier démarre en 1973, près de 10 ans après la mort de l’architecte. Mais en 78, alors que seule la partie basse est réalisée, tout s’arrête, faute d’argent.

Pendant 30 ans, les habitants de Firminy parlent du blockhaus lorsqu'ils évoquent cette masse de béton inerte et informe.


Mais en 2003, une solution de financement est enfin trouvée via la communauté urbaine Saint-Etienne Métropole. L’argent public permet l’achèvement du chantier et l’église est inaugurée le 29 novembre 2006.

Reste à trouver un arrangement. Financée par des fonds publics et au regard de la loi 1905, il est convenu que l’église sera un lieu culturel ouvert aux visites, expos et manifestations publiques. Toutefois, la paroisse et l’évêché ayant initialement engagés des fonds, seul l’autel sera consacré en 2007 et des messes pourront y être célébrées un dimanche par mois et lors des veillées de Noël.

Bâtie selon les formes et plans d’origine, sa vocation initiale est donc partiellement différente.

Au plan architectural, là encore, plusieurs éléments remarquables. A l’extérieur le bâtiment offre 3 inclinaisons de façades, la base carrée sur laquelle il repose s’arrondit et s’excentre progressivement, une gouttière de béton guide les eaux de pluie du clocher jusqu’au sol,…


A l’intérieur, et comme toujours dans les constructions de Le Corbusier, la lumière naturelle s’infiltre par des puits de béton, vitraux modernes colorés, évidemment, de jaune, bleu, vert et rouge.

A l’arrière de la chaire et de l’autel, le ciel gris du béton s’illumine d’une myriade d’étoiles, points de lumière que laisse filtrer une ingénieuse installation à l’arrière de la gouttière !



Et puis il y a le son… Comme l'a souligné José Oubrerie, assistant de Le Corbusier et architecte testamentaire en charge du chantier de l'église, l’impasse est souvent faite sur les dernières phases de travaux, faute de moyens. Pas de budget donc pour achever les plans du maître qui prévoyait notamment un abat-voix en bois au-dessus de la chaire ainsi que des structures en relief en différents points de la coque pour absorber le son. Du coup, lorsque notre guide parle, on entend ça !


Un problème qui devrait néanmoins trouver une solution, l'"Association Le Corbusier pour l'Eglise de Firminy-Vert" ayant obtenu des financements pour engager une étude acoustique.


La visite s’achève. Dehors, le soleil et un goûter attendent les lycéen-ne-s attentifs et curieux tout au long de la visite. Les accompagnateurs échangent leurs impressions et s’interrogent aussi sur la part sombre de l’architecte pendant la seconde guerre mondiale. Un point qui sera certainement évoqué prochainement lors d’une conférence proposée par « Réussir Aujourd’hui ».

Pour les jeunes élèves, la rencontre avec Le Corbusier n’est pas terminée…