Powerpoint, transmission et bienveillance : les ressources du dessin de presse
Publié par Camille Roelens, le 12 avril 2018 3k
L’objet de cet article, comme le suggère ce titre, serait de présenter et de discuter l’usage de l’insertion de dessins de presse (et potentiellement d’extraits de bande-dessinée en général) dans des diaporamas à destination d’un public d’adultes (enseignement universitaire, formation professionnelle, communications scientifiques, vulgarisation).
Transmission bienveillante et souci de la réception
Ces situations semblent en effet celles par excellence où se manifeste un incompressible de la transmission, un incontournable besoin de mobiliser des concepts, de définir, parfois avec une rigueur sollicitante pour l’auditoire, des termes ou des modalités de travail. Les présentations de type Powerpoint ont révolutionné la façon de concevoir ces exercices, mais peuvent aussi conduire à des exposés indigestes, contraignant à une volte permanente entre écran, notes, et discours, peu à même de susciter les questions ou échanges que le communicant ne manquera pas, la plupart du temps, de tenter d’impulser en toute bonne foi.
Je ne pense pas que l’idée même de transmission d’un contenu équivaille au postulat d’une complète passivité de celui qui le reçoit. Rien n’empêche, ainsi, de repenser à l’aune de l’exigence de l’autonomie individuelle, une transmission où celui qui occupe la place d’autorité se soucie de rendre un autre auteur de son appropriation d’un contenu culturel pensé. Cela implique d’admettre que la réception de ce contenu comporte une part d’appropriation singulière et subjective (elle aussi irréductible) mais aussi de penser des supports largement appropriables.
Des propositions de monde
La mise en contact avec des œuvres consiste à présenter des propositions de monde qui sont des moyens pour ceux qui les rencontrent de mieux comprendre le monde[1]. Je pense que les dessins de presse peuvent être des œuvres dont la mobilisation est féconde pour qui souhaite marier les contraintes de l’exposé devant un large public d’adultes et le souci de l’activité dudit public. J’esquisserai dans un premier, sans prétention d’exhaustivité, quatre arguments à l’appui de cette thèse, en des termes se voulant à la fois suffisamment précis et ouverts pour permettre l’appropriation par chacun de cette méthode s’il le souhaite. J’illustrerai ensuite brièvement ce propos.
Le premier point est que l’alternance de verbes, de textes et d’images dans une présentation permet un changement de type de support mobilisé pour soutenir le discours et favorise ainsi une remobilisation cognitive. Ce point n’est pas exclusif au dessin de presse (l’ensemble des intercesseurs culturels peuvent y être pertinents) mais ce dernier me paraît être une composante essentielle d’une palette pédagogique pensée dans cette optique et la plus à même d’ancrer le propos dans un moment singulier (actualité ou évènement historique).
Deuxièmement, le dessin de presse permet, mieux que beaucoup de supports, de saisir la permanente dialectique entre l’établissement de faits de manière exacte (ce qui est le cœur du travail journalistique d’information/investigation ou de l’histoire documentaire) et les interprétations contradictoires qui peuvent être données de ce fait entre des acteurs qui tous en reconnaissent l’existence objective. Cela est prompt à faire naître un débat mais aussi à permettre une intelligibilité de l’histoire telle que certains acteurs l’ont vécue, permettant un relatif détachement de la relecture a posteriori, tendant électivement à l’anachronisme.
Troisièmement, ce type d’œuvre mobilise le régime de l’inférence culturelle, si l’on ose dire, à spectre large : chacun peut faire du lien avec des dessins qu’il connaît, rebondir, comparer. Rendre la culture désirable ne saurait souvent faire l’économie de la rendre accessible, et entrer dans un propos avec le sentiment que l’on possède déjà un point de connivence avec l’univers intellectuel du communicant facilite sans doute le consentement à une réception active.
Enfin, cette pratique est souvent l’occasion d’introduire de l’humour dans l’exercice, ce qui permet de rendre celui qui occupe une place d’autorité plus « accessible » (condition que l’on peut penser nécessaire, dans un contexte d’égalisation démocratique, pour que sa légitimité à occuper cette posture lui soit longtemps reconnue). Comme la culture générale, l’humour souffre parfois en contexte académique de certaines préventions : superficialité ou moyen de connivences sélectives, « triant » initiés et non-initiés. Je pense que ces « pathologies » de l’usage de l’un et de l’autre existent, mais qu’elles ne les résument pas ni n’en épuisent les potentialités. Bien veiller à mobiliser érudition et humour pour ouvrir des portes dans un vaste labyrinthe de significations me paraît une qualité pédagogique essentielle.
Suggestions de mise en œuvre
Je fais de la notion d’autorité et de l’étude de l’évolution de ses conceptions dans les démocraties contemporaines le « fil » rouge de cette sous-partie par souci de clarté du propos. Cela ne signifie aucunement que les dessins proposés ne puissent être mobilisés dans le cadre d’autres thèmes. C’est une autre force des dessins de presse : la multiplicité des usages pertinents qu’on peut en faire.
Un fait, son interprétation et sa mise en scène
Supposons un exposé sur la perception de l’autorité politique dans la Vème République. À partir d’un fait historique : « Le général de Gaulle est mort le 9 novembre 1970 à Colombey-les deux-églises », on peut ouvrir la réflexion sur le dessin suivant, réalisé par Jacques Faizant.
On peut remarquer qu’une telle image est riche en inférences culturelles et symboliques (la nuit, Marianne, les larmes, le chêne abattu qui permet de renvoyer à la fois à l’œuvre de V. Hugo et à celle d’A. Malraux). Les complexités de l’autorité d’un personnage puisant sa légitimité à la fois dans l’histoire, le charisme, un lien émotionnel et « paternel » à la France et aux français se retrouvent ici. Mais l’autorité dépend de sa reconnaissance, et celle-ci est singulière, donc ne saurait en démocratie être unanime. On peut ici toucher du doigt les interprétations contradictoires d’acteurs historiquement situés évoquées plus haut. Illustration :
Une mise en perspective de l’évolution d’une économie de la légitimité fondée sur les libertés individuelles peut aussi être esquissée ici : pour le pouvoir politique de 2015, le droit à la liberté d’expression de Charlie Hebdo faisait autorité, même dans le « blasphème » ou la critique rude du gouvernement. Pour nombre de personnes en 1970, moquer ainsi la mort d’une figure d’autorité était illégitime.
C’est de plus ici l’absence du dessin dans un organe de presse qui l’emploie. Cela suggère que le choix de passer ou non par le dessin est en soi signifiant et riche à discuter quant à sa causalité.
L’autorité comme moyen d’accompagner le devenir autonome[2]
Le glissement contemporain de l’autorité d’une posture de commandement à une posture d’accompagnement, pourrait-on dire de service, où elle s’exerce en vue de l’autonomie individuelle de celui qui est accompagné, est parfois difficile à faire saisir dans sa complexité. J’ajoute à cela les indispensables distinctions avec l’autoritarisme, le pouvoir, le droit, qui sont sources de nombreuses confusions. Cette conceptualisation s’inscrit de plus dans un autre paradoxe apparent : éduquer à l’autonomie. Comment faire percevoir les tensions inhérentes à ce projet et faire émerger les représentations à ce sujet, conditions pour envisager de permettre éventuellement leurs reconstructions ? L’appui sur un dessin de presse ouvre favorablement et la réflexion et le débat. Mille sont mobilisables, mais je suggère celui-ci, de Philippe Geluck, qui mêle humour et densité d’éléments analysables (gestes, mise en scène, texte…).
Occuper une place d’autorité aujourd’hui ne se résume pas à enfiler un costume mais à le tisser au quotidien. Une réflexivité constante qui peut être nourrie par l’interrogation d’images de ce genre.
[1]Foray, P. (2016). Devenir autonome, apprendre à se diriger soi-même. Paris : ESF.
[2]Ibid.