Prendre en compte le genre dans l’exposition

Publié par Christine Berton, le 3 avril 2017   2.4k

« Prendre en compte le genre dans l’exposition », c’est le thème que l’OCIM (Office de Coopération et d’Information Muséales) proposait de mettre en débat les 7 et 8 mars 2017 à La Rotonde - Mines Saint-Etienne.

Deux journées d’échanges et de réflexions que partageaient des professionnel.les de musées ou centres de science.



Stéréotypes et genre : le sens des mots

"Il est aisé de s'accrocher à ses stéréotypes et ses idées préconçues, on se sent ainsi rassuré dans sa propre ignorance." (Michelle Obama)

Selon le Haut Conseil à l’Egalité « Les stéréotypes de sexe font passer pour naturels et normaux des rôles de sexe différents et hiérarchisés, assignés aux femmes et aux hommes ».

Autrement dit, et comme on peut le lire dans le Kit d’actions « Découvreuses Anonymes » « le stéréotype est une flemmardise du cerveau dont nous sommes toutes et tous victimes et qui nous pousse à attribuer à un groupe social dans son ensemble, un ensemble de caractéristiques (…) afin de faciliter la tâche de compréhension d’un environnement complexe ».

Le genre quant à lui est le système de normes hiérarchisées et hiérarchisantes qui produit des inégalités entre les femmes et les hommes.

Pour l’historienne américaine Joan Scott, c'est « une façon première de signifier les rapports de pouvoir ».


Ce que les chiffres nous disent des uns et des unes !

Selon le rapport Porchet (Les jeunes et les études scientifiques) établi en 2002, parmi les élèves qui sont au-dessus de la moyenne en mathématiques, 53% des filles, contre 82% des garçons, s’estiment capables de suivre un cursus scientifique.

Pour elles, l’autocensure marche à plein : elles doutent d’elles-mêmes et se dévalorisent dans l’estimation de leurs capacités.

Plus tard, face à une offre d’emploi qui recense 10 critères de sélection pour un poste, les hommes candidateront quand ils s’estimeront capables de répondre positivement à 3 ou 4 d’entre eux quand les femmes ne se jetteront à l’eau qu’à partir de 6 ou 7 !



Explorer ses pratiques

Comment les loisirs culturels contribuent-ils à la construction identitaire ? Comment les usages pratiques, les consommations culturelles et les représentations qui en découlent participent-ils à façonner le genre ?

Au cours de ces deux journées, les échanges avec la sociologue Florence Abrioux, la philosophe chargée de mission égalité à Universcience Marie-Agnès Bernardis et les concepteurs d’expos Marie Morel « Au village des garfilles » et Jacques Roux « Clock, les horloges du vivant », ont nourri la réflexion.

Et chacun de se questionner sur une thématique où, souvent, « l’intime se confond avec le professionnel »…

Jusqu’où peut-on aller ? Comment déminer ce terrain qui, parfois, entraîne des réactions disproportionnées ? Comme le précise Florence Abrioux, si les textes établissent l’égalité des droits, dans les faits, des inégalités demeurent. Pour elle, il s’agit bien là d’«une question de société qui clive par méconnaissance du sujet et qui, souvent, se traduit par une mise à distance pour ceux, nombreux, que cette question met mal à l’aise»

Des pistes de réponses sont avancées : s’autoriser à évoquer le subjectif et le légitimer, savoir construire une autre communication pour déconstruire les stéréotypes, observer son environnement social et s’attarder à en percevoir le caractère sexué, noter les inégalités qui en découlent, ne plus cantonner la prise en compte du genre à quelque chose de facultatif, et toujours, rester vigilant sur les schémas genrés que l’on peut, involontairement, véhiculer.



Culture et genre

En 2014, le collectif Normandie du mouvement HF pour l’égalité hommes/femmes dans l’art et la culture égrène quelques chiffres : 78% des spectacles sont mis en scène par des hommes, 92% des théâtres sont dirigés par des hommes, 100% des chefs d’orchestre dans les 23 orchestres permanents en région sont des hommes, etc…

Dans les lieux consacrés à la culture scientifique, les propositions sont construites en fonction de catégories d’âges et les offres « jeunes publics » y sont toujours nombreuses et plurielles. Ici, la valorisation des compétences et capacités prend a priori le pas sur la représentation de personnages genrés.

Pourtant, en novembre 2013, dans leur rapport de recherche « La culture scientifique, une culture au masculin ? » commandé par le Ministère de la Culture, les sociologues Christine Détrez et Claire Piluso pointent «la sous-représentation des femmes qui entraîne leur invisibilité»

De même, l’absence de langage épicène contribue à les rendre invisibles.

En 2010, Universcience dont l’une des missions est de promouvoir les carrières scientifiques auprès des jeunes, constate que l’orientation est très sexuée. Là encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 28% des filles seulement entrent à l’Université. Et 70% s’orientent en SHS.

En France, 27 % des femmes intègrent les centres scientifiques. Elles sont 33% en Europe.

Claudie Haigneré, alors présidente d’Universcience, confie à Marie-Agnès Bernardis la mission d’ausculter les pratiques de l’institution autour de deux questions centrales : comment les femmes sont-elles représentées dans leurs expositions ? Véhiculent-elles des stéréotypes ?

9 expos sont alors passées à la loupe : s’il n’y a pas de sexisme flagrant, il y a en revanche des biais de sexe et de genre comme ceux que l’on relève aussi dans les manuels scolaires. Par ailleurs, au sein même de l'institution, les femmes sont absentes des conseils scientifiques



Chausser les lunettes du genre

En créant « Au village des garfilles » pour le CCSTI Lacq-Odyssée, à Pau, Marie Morel part d’un constat observé dans la lutte contre le racisme : lever un argument biologique ne suffit pas pour contrer des idées préconçues. Pour concevoir son exposition, elle décide donc de privilégier la méthode du questionnement qui conduit à la réflexion. Une forme de maïeutique adaptée aux enfants avec, pour base d’observation et de questionnements, leur environnement quotidien.

En visitant l’exposition Clock avec cette problématique en tête puis en décryptant des affiches d’expos, les participant.es aiguisent leur regard et imaginent d’autres formes ou langages possibles.

Mais à nouveau, la question revient : jusqu’où doit-on aller ? En veillant à utiliser et varier les genres dans nos expressions, écrites, orales ou même visuelles, nos messages de communication ne vont-ils pas s'alourdir ? Et pire, ne risque-t-on pas de donner raison à l’expression qui veut que le diable se cache dans les détails ?



Soyons vigilant.es !

Au fil des échanges, les moyens de parvenir à reconsidérer la question du genre dans les pratiques professionnelles de chacun.e se précisent. Si certains engagent la responsabilité de tous, d'autres en revanche, dépendent aussi de choix et d'orientations politiques. Pour l'un des participants, "il faut obtenir des engagements plus haut, poser un cadre, s’appuyer sur la loi". "Tout à fait d'accord" répond une autre qui ajoute "sinon, quel intérêt de s’ouvrir les yeux si c’est pour avoir les mains liées ?"

Contre les réticences, frilosités voire oppositions, la ténacité et la responsabilité de chacun.e sont appelées en renfort : "Il faut aller au-delà de la déclaration d'intention, concevoir nos projets autrement et instaurer des conseils scientifiques paritaires" dit l'une, "Il faut savoir faire preuve de persévérance et ne pas se décourager" renchérit l'autre.

A force d’intégrer à nos langages et nos pratiques la considération du masculin et du féminin par le choix répété de langage inclusif et écriture épicène par exemple, à force de vigilance pour que chacun et chacune puisse se reconnaître et se projeter, ce qui, aujourd’hui, heurte l’œil ou irrite l’oreille, pourrait être l’un des plus forts vecteurs d’une société ouverte à toutes ses composantes. Des « détails » qui pourraient finir par faire système...